Polluer Instagram pour faire chavirer l’image de la plage

La mer et la plage sur Instagram sont, à la manière des photos de voyages, une représentation d’une nature intacte. Mais, absorbés par la vague de la plateforme, nous passons à côté des dégâts de l’anthropocène, loin des plages paradisiaques. Parcourons un nouvel imaginaire de la plage sur Instagram avec Bruno et Anne-Laure.

Instagram est-il un moyen d’échapper à la « souffrance ordinaire » (S. Juan, 2002) d’un quotidien banal opposé au bonheur des vacances en accédant à une parenthèse utopiste ? Sur le réseau social dédié à l’image, la mer et la plage sont sujettes à des illustrations normées et stéréotypées, celles-ci donnent lieux à un imaginaire bien ancré dans l’idée même que l’on se fait des vacances. Instagram devient le terrain d’une tendance au cliché et à l’idéalisation, occultant la réalité de la pollution. En réponse, de nombreuses associations comme Sea Save Foundation ou encore Pure Ocean s’attèlent à briser cette vision irréaliste en publiant des photographies amenant à constater la pollution marine. Néanmoins, au-delà d’une mission associative, la prise de conscience de la pollution marine serait aussi une mission personnelle, une initiative sur laquelle nous souhaitons enquêter pour découvrir les motivations et les pratiques des internautes indépendants, que nous pensons uniques par rapport aux démarches professionnelles en associations. Ces derniers « braconnent » (M. De Certeau, 1990) Instagram en profitant de sa large portée, tout en refusant la surenchère d’un imaginaire idéaliste de la mer. Bien que minoritaire dans un réseau social où 100 millions de photos et vidéos sont postées chaque jours, ce mouvement engagé prend de l’ampleur avec plusieurs hashtags : #oceanpollution (121 000 publication), #plasticpollution (1 222 000 publications), #pollutionfree (207 000 publications), #beachclean (575 000 publications)… Mais cela reste une goutte d’eau dans un océan de hashtags affichant plusieurs millions voire centaines de millions de plages paradisiaques : #beach, #beachlife, #beachday, #beachsunset … Alors, dans quel but un internaute s’engage-t-il dans la lutte contre la pollution marine sur Instagram, un réseau social noyé par un imaginaire si prisé ? Est-ce un cheminement engagé et pragmatique ou est-il aussi artistique ?

Nous avons rencontré deux internautes engagés contre la pollution marine, choisis pour leur pages uniquement consacrées à la lutte contre la pollution marine. Nous les avons trouvés grâce à une recherche sur Instagram selon plusieurs hashtags et mots-clés (pollution marine, plastique mer, #plasticpollution…)

Bruno Mottais, alias @mutoz_inc, 54 ans, conseiller en insertion professionnelle à Bretignolles-sur-mer en Vendée.

Anne-Laure Schorsch, alias @seatoyens, 46 ans, professeure des écoles aux Vieux-Boucault dans les Landes.

Détourner et intégrer Instagram pour pratiquer un art engagé

Instagram comme espace de détournement

« Moi j’aime bien parce que Instagram (…) C’est toujours un peu la vie de rêve. Les gens mettent des photos plus pour donner envie aux autres, pour leur montrer : regardez comme la vie est belle et ça va vous donner envie. Et moi, j’avais envie de détourner ça en montrant, bah regardez comme la plage est polluée et comment il faut en prendre conscience. »

Les deux photographes utilisent la vague d’Instagram pour polluer l’image factice qu’on se fait de la plage et de la mer. Ce sont d’excellents « braconneurs » (M. De Certeau, 1990) de ce genre de plateforme. Bien que Bruno fasse aussi partie d’une page Facebook de ramassage et Anne-Laure ait de nombreux comptes (personnel, peinture, pour les compétitions de surf de sa fille…) ils savent très bien comment ils s’en servent, et ils rejettent la surenchère du partage photographique typique des réseaux sociaux qui consiste à rentrer dans une logique de visibilité intensive par l’utilisation abusive d’hashtags et une récurrence de publications (P.Escande-Gauquié, V.Jeanne-Perrier : 2017).

Anne-Laure refuse de se retrouver inondée de contenus et garde la stratégie des vues pour le compte de sa fille : « …le compte @seatoyens il est pour partager, pour alerter, pour sensibiliser. Ce n’est pas un compte sur lequel je cherche à avoir trop de followers… Je pourrais en avoir plus en faisant d’autres démarches mais je ne suis pas du tout dans cette démarche… ». (Anne-Laure). Bruno non plus ne récolte pas beaucoup de j’aime ni de followers et n’y apporte aucun intérêt : « …je sais pas s’il y a beaucoup de monde qui voit ce que je fais, en général une soixantaine de personnes qui aiment ma photo… » (Bruno). Loin de la course aux likes et au contenu, Bruno tourne sa visibilité sur les réseaux sociaux à la dérision : « bizarrement, les photos qui ont plus de j’aime, c’est quand je mets ma tronche. Mais moi, ça m’intéresse pas. » (Bruno). Néanmoins, ce dernier utilise tout de même les hashtags à but stratégique, notamment pour « polluer » ceux qui concernent le tourisme.

« Surtout que sur Instagram, avec les hashtags, on peut identifier sur les lieux, des endroits. Donc voilà, et moi ce qui m’énerve le plus, c’est les gens qui mettent des photos de plage, couchers de soleil, des choses comme ça. Donc, la réalité c’est autre chose, c’est-à-dire montrer en détournant justement, avec les hashtags utilisés par les gens qui montrent des plages de rêves et de leurs vacances. Sur le hashtag ‘Vendée tourisme’ ou ‘Bretignolles-sur-mer’, on trouve surtout les photos de rêve. Moi, j’essaie d’incruster des photos de pollution. »

Anne-Laure puise dans les réseaux sociaux pour trouver des idées à partager avec ses élèves : « chaque année je fais un projet comme ça de revalorisation des déchets, et donc je leur montre aussi des choses que j’ai vues, et puis ils peuvent s’en inspirer, trouver des idées et tout ça. » (Anne-Laure). Mais, son action s’inscrit en dehors de la portée des hashtags et de l’affiche de soi-même : « j’aime pas du tout la démarche de se mettre en avant » (Anne-Laure). Néanmoins, l’habitante des Landes se saisit de l’influence des réseaux socionumériques en aidant aussi une association contre la pollution des océans : « Save the Mermaid ».

Dénoncer la pollution, c’est tout un art

Pour Bruno et Anne-Laure, l’art et la dénonciation de la pollution marine sont liés. Ils se professionnalisent dans le milieu artistique en participant à des sites internet, en vendant leurs œuvres, mais ils s’alimentent aussi par la visite de galeries photographiques ou d’art contemporain.

Bruno s’inspire de grands artistes comme Calder ou encore Picasso dans son art d’assemblage de déchets en bois et en métal, aussi, il met des détritus en scène sur la plage pour prendre des photos artistiques, esthétiques, qui lui plaisent, une démarche comparable à celle de Daniel Spoerri, fondateur du « nouveau réalisme », mettant notamment en scène des restes de plats et des ustensiles sur des tables pour introduire un « recyclage du réel ».

Anne-Laure peint en utilisant et en incorporant les déchets dans ses œuvres : « dans cette démarche artistique, j’utilise beaucoup des choses que je trouve sur la plage. » (Anne-Laure). Elle ne se trouve pas talentueuse pour les photographies, alors, elle laisse cela au rang de sensibilisation ou sinon, elle les utilisent pour les intégrer à ses créations artistiques. De l’art, même dans le ramassage, Anne-Laure prend l’initiative par exemple de ramasser des déchets par couleur pour donner naissance à des créations ou pour publier sur son compte Instagram : « Hop, ça arrive. Je me suis dit « tiens, j’ai déjà mis du bleu, du rouge, maintenant j’aimerais du vert » (Anne-Laure). Il s’agit de ramasser les déchets pas seulement pour se rendre utile à la cause du nettoyage des plages mais aussi pour alimenter un besoin de création.

L’influence d’Instagram sur les pratiques de Bruno et Anne-Laure

Les deux photographes interrogés nous expriment une manière très personnelle et autonome de se servir d’Instagram à la manière dont les lecteurs créent une communauté sur le hashtag « bookstagram » détournant les logiques représentationnelles de la plateforme en réinventant « l’iconographie du lecteur » (M. Siguier, 2020). Cependant, il convient de remarquer qu’ils s’en servent tout de même pour relayer leurs arts et leurs initiatives en faveur de la lutte contre la pollution marine. Alors, Instagram a bel et bien un rôle dans les pratiques numériques de Bruno et Anne-Laure. S’ils « braconnent » (M. De Certeau, 1990) les possibilités et les contenus offerts par la plateforme et s’ils « bricolent » (C. Lévi-Strauss, 1962) en usant de pratiques propres aux exigences de la plateforme (esthétisation, hashtags, mobilisation des internautes…) pour servir des intérêts tout autres que la surenchère du partage photographique ; ils ne sont pas moins épargnés par la nécessité d’adhérer inconsciemment à une logique d’industrie de l’attention (D. Boullier, 2009) incarnée par un design attractif. En effet, les deux enquêtés restent impactés par le besoin d’esthétisation, d’éloquence ou encore de mobilisation, et ce pour retenir l’attention de leurs followers. Bruno et Anne-Laure semblent tous deux employer une stratégie d’alerte (D. Boullier, 2009) pariant sur l’intensité du message, sans pour autant porter attention à la fidélisation des internautes. Bien qu’ils consentent à utiliser Instagram, ils ne s’insèrent pas pour autant dans une dynamique d’esthétisation du monde (G. Lipovetsky, J. Serroy, 2013). Tandis qu’Instagram encourage un art misant sur l’esthétique pour relayer une vision idéaliste du monde par une documentation permanente de ce qui nous entoure, les deux photographes font remonter une nouvelle vague à la surface. Bruno et Anne-Laure dénoncent une documentation non seulement abusive mais aussi trompeuse de notre environnement.

L’insertion relative des deux photographes de notre enquête dans l’économie de l’attention nous mène à raccorder les pratiques de Bruno et Anne-Laure au phénomène d’euphorisation sur les réseaux sociaux (G. Gomez-Mejia, 2016). En effet, ils illustrent le passage d’un modèle d’« amateur passionné » à celui de « fan ». Tous deux sont poussés par Instagram et ses logiques à extrapoler une initiative au rang d’engagement fanatique (comparé à la fidélité religieuse par G. Gomez-Mejia) pour exister sur la plateforme et former une communauté de fans, bien que petite et locale.

Cependant, bien que les deux photographes adhèrent à l’économie de l’attention et au phénomène d’euphorisation relayés par Instagram, ils font progresser une pratique encourageante concernant la démocratisation d’Internet par un usage libre des réseaux sociaux (D. Cardon, 2010). En effet, ils participent au phénomène de « pollinisation », ils butinent les informations et les usages et les sèment à leur manière pour faire de leurs pages de véritables contre-courants numériques afin de démocratiser la pollution marine et démentir un imaginaire utopiste de la mer.

Quelle est l’origine de cette nouvelle vague ?

La mer : un terrain sport et de partage familial

Pour les deux photographes engagés, la mer évoque avant tout un terrain de jeu à protéger. Surfeurs, Anne-Laure et Bruno entretiennent un lien sportif avec la mer, mais pas que, c’est aussi une histoire de famille : « Bah la mer, chez moi, c’est une longue histoire de famille. J’avais un grand-père qui était marin. Un arrière-grand-père qui était marin… » (Bruno). Tandis que le Vendéen, anciennement moniteur de sport nautique, prône un savoir-faire transmis de père en fils, Anne-Laure revendique un lien direct entre le sport et la famille : « J’ai trois enfants, un mari et donc en fait les trois enfants font énormément de surf et d’activités dans l’eau. » (Anne-Laure).

Les deux interviewés sont intimement liés à la mer, au-delà de l’image de terrain de vacances, c’est un quotidien, une manière de vivre « le surf c’est un sport addictif et on y va quasiment tous les jours, à l’eau » (Anne-Laure). Pour Bruno, ça a commencé très jeune : « …quand j’étais petit, j’étais asthmatique. Puis il y avait un docteur qu’avait dit que surtout je ne sois pas dans l’humidité. Et, à partir du moment, on l’a pas écouté, j’ai commencé à faire de la voile, j’ai plus fait d’asthme. » (Bruno). L’engagement des sportifs ne naît pas seulement de l’amour du paysage mais du besoin de choyer un environnement du quotidien, de leur culture.

Un engagement physique pour protéger la mer

« on se rend compte que, comme on le dit, nous on fait notre petite part de colibri, on ramasse trois trucs, si je ramasse quatre, trois sacs poubelle, mais en vrai ça ne va rien changer de l’état de l’océan(…) vider l’océan à la petite cuillère, c’est pas possible. »

Si leur engagement est très intime et personnel, il n’en est pas moins local. Anne-Laure et Bruno demeurent très attachés à leur lieu de vie, à leurs plages et à leurs communes. Ils agissent, par un engagement physique, pour l’assainissement des plages depuis plus d’une dizaine d’années, et mettent en place, avec leur mairie, des bacs prévus pour y mettre les détritus trouvés sur la plage. Ils ne peuvent « pas rester debout sans rien faire » (Anne-Laure) lorsqu’ils constatent leurs plages du quotidien noyées sous les déchets.

Une saison émerge des deux témoignages, l’hiver. Dans cette période, les plages touristiques se retrouvent abandonnées aux habitants : « entre ce qu’on voit l’été, où les plages sont nettoyées par les tracteurs et ce qui se passe vraiment l’hiver c’est complètement différent. ». Alors, il faut agir à son échelle ! Il ne s’agit pas de sauver le monde, d’ailleurs Bruno et Anne-Laure le savent, ils ne le peuvent pas, mais, ils ont tout de même la possibilité de contribuer, avec un petit groupe comme Anne-Laure ou des passants qui le reconnaissent comme Bruno, au nettoyage de leurs plages.

Un investissement naissant d’une expérience personnelle

« il y a une année où on avait trouvé plein de petits macareux. Les macareux c’est des petits, comment on appelle ça, des petits pingouins, et il y avait des tempêtes, et il y a eu 10 jours de tempête, et les macareux ils étaient épuisés en fait, et donc ils s’échouaient sur nos plages. »

Anne-Laure et Bruno ont vécu des événements qui ont été pour le moins déclencheurs de leurs initiatives. Bruno a été touché par une tempête en 2010 : « …c’est venu après les tempêtes de 2010. Et, j’ai fait des petits objets, les premières petites statuettes que j’ai faites. » (Bruno). Cet événement climatique a amené un grand nombre de déchets sur les côtes, alors, Bruno a davantage pris conscience de l’ampleur des dégâts. Anne-Laure quant à elle a vécu un événement impliquant un dauphin ayant failli mourir sur la plage. La professeure des écoles a sauvé cet animal échoué sur la plage, cet événement l’a considérablement rapprochée de l’environnement marin et l’a rendue sensible à sa santé : « Donc j’ai créé ce document où on écrit ‘qu’est-ce que tu fais quand tu trouves une tortue’ parce qu’il n’y a pas que les déchets et les plastiques. » (Anne-Laure), un document faisant parler de lui, placardé sur les plages, qui fut la première publication du compte @seatoyens.

Représenter et voir la pollution marine

Un oeil curieux sur la pollution marine

Les deux passionnés se revendiquent plus qu’inquiets, ils se disent résignés, sidérés de l’état des plages. « C’est pas de l’inquiétude, c’est plus de la sidération, c’est vraiment l’impression qu’on peut rien faire. » (Bruno). Ils déplorent le fait que la pollution soit quelque chose d’habituel pour chacun « D’après tout le monde c’est quelque chose qui a toujours été là. » (Anne-Laure), mais, il y a bien une origine à ce désastre.

Alors, les deux enquêtés se questionnent sur la source du problème. Pour la professeure des écoles, c’est aussi historique, à l’époque où les Espagnols mettaient leurs décharges dans la mer, qui se retrouvaient sur nos plages avec les courants marins. Pour Bruno c’est surtout un questionnement sur la nature et l’origine des déchets. En effet, le Vendéen fait partie d’un groupe Facebook partageant les déchets les plus souvent retrouvés (Kinder, bouteilles plastiques, cotons-tige…), et qui, selon Bruno, ne sont absolument par représentatifs de la consommation vendéenne, alors, d’où viennent ces déchets ?

Au-delà de la dénonciation de la production de plastique, cette grande interrogation sur les déchets s’observe aussi dans le témoignage d’Anne-Laure : « C’est drôle en fait, quand on voit l’océan et qu’on y est beaucoup, chaque jour est différent (…) des fois, il y a des containers comme ça au large qui s’échouent. Donc il y a eu une fois, c’était un container de pommes (…) il y a des pommes, il y en a partout. Une autre fois c’était un container de (…) piment rouge. Donc on se balade à la plage, il y a des piments rouges partout. » (Anne-Laure). Malgré la pollution, Anne-Laure et Bruno continuent de chérir la plage et la mer en y voyant un lieu ressourçant et agréable.

La représentation de la pollution marine sur Instagram : une démarche pédagogique, mais aussi créative

« …c’est pour dire qu’il y a quand même encore de l’espoir. Voilà, si on s’y met tous, voilà des fois je fais un petit bonhomme en bouchons avec un morceau de caoutchouc. Machin, puis il va dire « au secours ». C’est donner la parole aussi à ses déchets là finalement…s’ils sont arrivés là ce n’est pas par hasard et que maintenant, c’est à nous de les prendre en charge… »

Bruno a la particularité d’employer un ton humoristique dans ses photos pour dénoncer sans pour autant dramatiser afin de ne pas décourager les internautes qui verraient ses photographies. Les artistes ont le point commun de connaître l’étendue des dégâts mais, ils procèdent de manière à éduquer sans pour autant accabler leurs followers de fatalité : « on voit pas mal de gens qui ne comprennent pas trop ce que c’est la pollution donc on essaye d’expliquer » (Bruno) ; « pas culpabiliser les gens, je suis dans la démarche de, quand je croise des gens, je leur dis ‘ah bien, j’ai une page… » (Anne-Laure).

Les photographes travaillent minitieusement leur manière de sensibiliser leur communauté : « les photos j’essaye de les rendre soit rigolotes ou un peu catastrophistes parce que des fois c’est catastrophique » (Bruno). Ce dernier y distingue parfois une sorte de poésie, en cadrant ou en scénarisant la pollution, il exprime une démarche artistique unique : « J’aime bien quand il y a un tout petit peu de poésie. Qu’on se dise ‘là c’est pollué, mais si je regarde à côté, ça reste beau quand même quoi’ » ; « les photos nous aspergent, un peu comme l’océan nous asperge de ces déchets. Bah moi c’est un peu une prolongation de ça quoi. Il y a un truc qui est échoué, je le prends en photo, souvent quand il est tout seul, ça lui apporte une touche de poésie, de poésie un peu sombre.» (Bruno). Pour « montrer la face sombre du rêve » (Bruno), les deux internautes mélangent narration, création et sensibilisation.

Transmettre les bonnes pratiques, ou presque….

Anne-Laure et Bruno, se spécialisent, gagnent en notoriété et en légitimité avec leurs followers en partageant leurs initiatives dans un web participatif. Les deux interrogés passent d’un statut d’amateurs du sujet de la pollution marine à celui de spécialistes de la cause (P. Flichy, 2010). Néanmoins, Anne-Laure n’utilise pas uniquement sa spécialisation pour rassembler le maximum d’internautes. En effet, elle considère que cette démarche est propre à chacun et elle ne se revendique pas promotrice d’une bonne pratique, elle souhaite toucher des personnes réceptives, qui se sentent concernées par la cause : « Je me dis que ceux qui veulent s’intéresser à cette problématique, je pense qu’ils s’y intéressent tout seuls, et après ils vont trouver des réseaux justement qui vont les conforter dans cette démarche » (Anne-Laure). Le compte @seatoyens aurait alors pour vocation de renseigner et de mobiliser les followers fidèles sans pour autant mener les internautes à l’action.

Bruno, lui, aime transmettre, rencontrer de gens sur la plage et ramasser avec eux. Il se réjouit d’être reconnu par les habitants de sa ville, et en constatant que d’autres se joignent à l’initiative de ramassage. En effet, le Vendéen attache une grande importance à la solidarité entre les habitants et cherche à sensibiliser et à mobiliser les passants sur la plage lorsqu’il ramasse : « …moi je croisais des gens qui disaient ‘ah dis donc‘ et moi je leur disais ‘bah aidez-moi donc à ramasser un petit peu’ et ils disaient ‘ah bah c’est pas ma merde’ oui mais c’est notre planète, donc voilà, si chacun peut faire un peu. ». Ainsi, la plage deviendrait pour Bruno un prolongement de la sensibilisation qu’il opère sur Instagram.

Contribuons à ce contre-courant numérique

En complément de notre article, quatre images cherchent à faire cohabiter les deux imaginaires de la mer qui se font face sur la plateforme Instagram grâce aux usages des internautes engagés contre la pollution marine. Entre imaginaire idéalisé des vacances et réalité d’un paysage victime de la catastrophe environnementale nous créons un mélange provoquant, humoristique et impactant. Par le photomontage, des cartes postales touristiques sont contaminées de déchets plastiques, poussant le regard, souvent habitué à un imaginaire idyllique, vers une mise en abîme de l’absurde.

Sources

  • Instagram, les chiffres incontournables en 2023 en France et dans le monde
  • Le Nouveau réalisme : un recylage du réel
  • Juan, S. (2002). Pierre Périer, Vacances populaires : Images, pratiques et mémoire. Varia. p.439 – 441
  • Lévi-Strauss, C. (1962). La pensée sauvage. Plon. 395 p.
  • Boullier, D. (2009) Les industries de l’attention : fidélisation, alerte ou immersion. La découverte. Réseaux, p. 231-246.
  • Flichy, P. (2010). Le sacre de l’amateur. Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique. Seuil. 97 p.
  • Siguier, M. (2020) Donner à voir le lecteur sur les réseaux sociaux numériques : « Bookstagram », entre nouveaux régimes de visibilité et iconographies standardisées. Études de communication, p.113-134.
  • Gomez-Mejia, G. (2016). Les fabriques de soi : Identité et industrie sur le web. Les essais numériques. 154 p.
  • Cardon, D. (2010). La démocratie Internet. Promesses et limites. Seuil. 101 p.
  • Lipovetsky, G., Serroy, J. (2013). L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste. Folio. 566 p.
  • Périer, P. (2000). Vacances populaires : Images, pratiques et mémoire. Presses Universitaires de Rennes. 324 p.
  • De Certeau, M. (1990). L’invention du quotidien : 1. arts de faire. Editions Gallimard. 347 p.
  • Escande-Gauquié, P., Jeanne-Perrier, V. (2017). Le partage photographique : le régime performatif de la photo. Communication et langages. p.21-27.
  • @seatoyens
  • @anne_laure_surfart
  • @mutoz_inc
  • Plusieurs hashtags sur Instagram dont les principaux étudiés sont :#oceanpollution, #plasticpollution, #pollutionfree, #beachclean, #beachcleanup, #beach, #beachlife, #beachday, #beachsunset.

L'auteur.e

Matthias LEGRAND
Matthias est issu du domaine de la communication. Il se tourne vers un cursus universitaire et axé sur la recherche pour satisfaire son goût pour les enjeux sociologiques des plateformes. Il s’intéresse aux pratiques numériques des internautes mais aussi des acteurs médiatiques.

Le.la photographe

Hugo GESTER
Après un cursus scientifique, Hugo Gester se tourne vers sa passion : le monde de l’image. Suite à des études de cinéma à l’université de Paris Sorbonne-Nouvelle jusqu’au Master 1, il intègre l’ENS Louis-Lumière en master de photographie. Actuellement étudiant en troisième année, ses photographies mêlent expérimentations techniques et plastiques autour de l’objet et de la lumière. Ses images cherchent à dresser avec humour, un portait artistique de nos objets de consommation.
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